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L’Éveil du printemps : dans le vertige brûlant de l’adolescence

© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

À la Comédie-Française, Clément Hervieu-Léger monte le chef-d’œuvre de Wedekind dans son intégralité et dans la traduction de François Regnault avec 23 comédiens pour 40 personnages. C’est une première, tout comme la scénographie de Richard Peduzzi, fidèle complice de Patrice Chéreau. Un spectacle d’une bouleversante beauté, d’un romantisme absolu.

Conte cruel

C’est l’histoire de Moritz et de son ami Melchior, de la libre Wendla et de ses copines Martha et Théa, d’Hans, Ernst, Otto et les autres, collégiens de 14 ans dans la Prusse de la fin du XIXe siècle, broyés par un système scolaire qui les transforme en singes savants, maintenus dans l’ignorance pieuse qui érige la pudeur en morale sociale, mais saisis par une extraordinaire énergie vitale, une fureur de vivre démoniaque et une curiosité toute naturelle. Plus tard, Sigmund Freud fera de ces non-dits la base de sa théorie nouvelle.

Acteurs

© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

Dès lors, puisqu’il s’agit dans cette pièce qui fit scandale en 1891 de très jeunes gens qui vont se livrer, malgré eux parfois, en toute innocence, à des actes que réprouve la morale de l’époque, Clément Hervieu-Léger a particulièrement soigné une distribution qui offre aux nombreux comédiens de la troupe – quel luxe ! – une créativité éblouissante. Christophe Montenez donne à Moritz une sensibilité exacerbée, en faisant de ce “loser” une créature angélique, riche de sentiments brûlants et contradictoires. Sébastien Pouderoux est un Melchior saisissant d’intelligence et Georgia Scalliet explose dans le rôle de Wendla, fantasque et si grave. Habillés de costumes 50-60, ces ados-là deviennent les cousins des Beatles.

Choc de générations

Entre les hauts murs de cette citadelle bleutée, Legos géants qui se meuvent comme les ombres fantastiques d’une forêt, ou remparts dangereux qui séparent deux mondes, celui des enfants et celui des adultes, garçons et filles se côtoient, se jaugent et s’épient, partageant leurs secrets comme les miettes d’un repas de fête. Corps excités par le désir, yeux rageurs, la mise en scène insuffle aux corps une vivacité contagieuse et permanente qui se heurte, justement, à la verticalité imposante du décor.

Adultes dépassés

© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

Dans le clan des parents, totalement dépassés par la curiosité rageuse de leurs enfants, Cécile Brune et Clotilde de Bayser sont formidables, tout comme Éric Génovèse dans le rôle de Gabor et de l’Homme masqué. Mais il suffit d’une esquisse, d’un pastel pour que le conflit éclate entre parents et enfants, ou que le drame survienne. Alors que le texte aborde clairement la problématique de la masturbation, de l’homosexualité ou de l’avortement, le metteur en scène n’alourdit jamais les effets. Il laisse avec beaucoup de subtilité les comédiens exprimer leurs propres affects et replonger, non sans souffrance, dans le vertige de leur adolescence. La lumière de Bertrand Couderc, les costumes de Caroline de Vivaise parachèvent l’esthétique brumeuse et romantique de l’ensemble et servent à merveille un texte d’une puissance terrible et prémonitoire. 

Hélène Kuttner                                                                                

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